managementhebdo

La centralisation des fonctions support nuit-elle à la performance ?



Samedi 2 Novembre 2013 - 17:58

Les réorganisations en temps de crise sont l’occasion de modifier - « optimiser » - les process de production et de gestion. Premières cibles de cette démarche, les fonctions corporate et support – finance, achat, RH, SIC… - avec pour objectif premier une réduction des charges, sans toujours évaluer à sa juste mesure l’impact opérationnel de telles décisions.


Les doux euphémismes des économies d’échelle

Il n’est jamais question explicitement de faire des économies, de rogner sur les coûts fixes ou d’augmenter les marges, mais tel est pourtant bien l’objectif de la très grande majorité des restructurations en entreprises, dont fait partie la mutualisation des fonctions supports. Est mise en avant la nécessité d’une « rationalisation » de la structure, d’une « optimisation » du fonctionnement ou d’une « amélioration » des process. Dans tous les cas, cela annonce la volonté de faire autant, sinon plus, avec moins. En centralisant toutes les personnes dévolues aux mêmes tâches au sein d’une seule entité administrative ou géographique, on supprime les redondances de personnes et de moyens, particulièrement dans les postes managériaux. Le principal défaut de la centralisation, en dehors d’une certaine tendance à l’hypocrisie, c’est sa philosophie première : économiser de l’argent, plus que gagner en efficacité. Non qu’elle soit incompatible avec la finalité même de l’entreprise, bien au contraire, mais parce qu’elle n’est pas assumée comme telle.

La centralisation peut pourtant avoir des intérêts autres que purement économiques, qui peuvent être avancés. Dans un article intitulé « Faut-il centraliser la fonction achat pour gagner en efficacité ? », il est ainsi expliqué que la centralisation présente certes des atouts organisationnels (le responsable ou directeur des achats discute d’égal à égal avec les autres grandes directions) et permet des économies. Néanmoins dans le même article est mis en avant le fait qu’une centralisation intensive a pour effet un cloisonnement des services, et une détérioration progressive de la coordination entre, par exemple, le service achat et le service juridique, pourtant liés dans la bonne exécution des contrats.

La centralisation n’est pas la solution, mais une des formes seulement que peut prendre la solution à des questions organisationnelles spécifiques à chaque entreprise ou administrations. Selon Anne Rivière, directrice de la commande publique à Montigny-le-Bretonneux, l’essentiel repose sur la communication entre entités : « on peut organiser le service comme on veut, l’important c’est de se rencontrer et de travailler ensemble ». Elle ajoute, d’après son expérience au Ministère de la Défense, où la fonction achat est déléguée auprès d’une personne dans chaque cellule : « avec cette décentralisation, les services saisissaient mieux l’intérêt de la commande publique et ses règles alors que celle-ci était très mal perçue. C’est plus logique pour moi que l’achat reste au cœur des services techniques dont c’est le métier ». La décentralisation au plus près des opérationnels a donc encore quelques vertus.

Automatisation et centres de services partagés, nouveaux deus ex machina organisationnels

Malgré cela, la tentation de disposer de toute son administration à portée de voix est souvent forte pour un dirigeant. Au sein du Groupe M6, cette même logique est en marche, mais avec un focus particulier sur la fonction Finance. Il ne s’agit pas tant de centraliser que de modifier les process, notamment via l’utilisation de progiciels dédiés, les fameux Enterprise Resource planning (ERP). Jérôme Lefébure, directeur Financier et membre du Directoire du Groupe, avance ainsi que « la fonction Finance connaît une vraie mutation avec l’évolution des règles et pratiques financières, la numérisation et l’automatisation des processus ou encore les enjeux liés aux risques et à la communication financière. Dans cette perspective, nous devons organiser des processus courts et efficaces pour la conduite des opérations courantes et donc structurer et automatiser davantage notre système d'informations ». La centralisation n’est pas forcément possible pour des structures dépassant à peine le millier d’employés, mais l’automatisation de certaines tâches et la rationalisation des moyens y suit la même logique économique, sans considération pour l’efficacité terminale d’une telle mesure, à savoir la réactivité de l’entreprise aux aléas de l’activité.

Une solution intermédiaire a été trouvée avec les centres de services partagés ou Shared Services Centers, dans son acception anglo-saxonne. Il s’agit ni plus ni moins que de transformer les services en direction autonome, de faire en quelque sorte des fonctions support une nouvelle filiale de la société. Cela s’apparente à une externalisation pure et simple, mais sans les inconvénients de confier des données et des missions sensibles à une entreprise extérieure. Mais cette solution présente tout même l’inconvénient d’éloigner encore un peu plus les services support du « terrain » de l’entreprise et de ses clients. 

Penser aux clients, à l’efficacité, à long terme

Pour faciliter les prises de décisions rien ne remplace l’autonomie et la délégation de compétences, parce que la centralisation, la mutualisation ou l’automatisation implique toutes d’augmenter la distance entre les agents. « Il est toujours plus difficile de régler un problème à distance qu’en local » note Michel Baldellon, Directeur Business Consulting, et Christophe Chaumont, Professeur à l’École de Management de Lyon, dans un article évoquant les causes d’échecs de la centralisation des services supports. Parmi ces raisons d’échecs, on retrouve également une estimation des gains erronée, un facteur humain sous-estimé et une mauvaise conception des nouveaux services.

C’est la raison pour laquelle certaines entreprises ont pris le parti d’opter pour une organisation inverse. Guy Lacroix, PDG de Cofely Ineo précise ainsi dans le rapport d’activité 2012 que le modèle de l’entreprise « est et restera un modèle d'entrepreneuriat qui donne une pleine responsabilité à chacune de nos 33 directions déléguées […] Piloter nos affaires en proximité est un principe de gouvernance qui correspond parfaitement à l'évaluation des risques de nos métiers et à des prises de décisions efficaces ». Ainsi Cofely Ineo réunit plusieurs centaines d’entités aux spécialités, aux métiers et aux clients très différents. Malgré cela, l’entreprise a fait le choix d’une délégation de responsabilités au profit des échelons compétents, au plus près du terrain et des clients. Le modèle collaboratif est préféré aux structures hiérarchiques, jugées trop rigides. De même chez Pernod-Ricard, récemment récompensée par le trophée du capital humain 2013, « le groupe mise, depuis plusieurs années, sur un modèle de management participatif fondé sur une culture d’entreprise affirmée : celle de la décentralisation, de la responsabilisation des équipes locales et de la convivialité ». Bruno Rain, directeur général adjoint en charge des ressources humaines, souhaite ainsi « renforcer la culture du leadership au sein du groupe et de rendre transparente la gestion des talents ». Les entreprises pratiquant avec succès la décentralisation (des fonctions supports entre autres) sont celles qui mettent en avant le facteur humain dans les principes d’organisation.

Les crises économiques sont l’occasion d’ajustements politiquement difficiles, justifiés par la nécessité et un contexte particulier, théoriquement passager. Mais le réflexe de centralisation des fonctions supports, et la logique purement financière qui le sous-tend risquent en réalité d’alimenter le cercle vicieux de la rigidité fonctionnelle. Ce que l’entreprise économise ponctuellement, elle le perd en réactivité, en agilité stratégique et en résilience face aux crises, se condamnant de fait à poursuivre les purges RH à la prochaine crise. 


La Rédaction


Dans la même rubrique :
< >






Facebook
Twitter