managementhebdo

Le secret de longévité des marques patrimoniales



Mercredi 6 Septembre 2017 - 17:48

Il existe des marques et des enseignes dont la disparition serait un crève-cœur pour une majorité de consommateurs. Ces enseignes emblématiques, celles qui ont dépassé plusieurs décennies d’existence et de croissance, ont généralement en commun d’avoir su créer une culture de la marque à travers leur histoire et leurs valeurs. Ayant intégré le cercle fermé du « patrimoine économique » national dans l’imaginaire et la perception des consommateurs, elles assoient leur légitimité sur la confiance et un savoir-faire historique.


Le secret de longévité des marques patrimoniales
Si les « marques digitales » Google, PayPal et WhatsApp caracolent en tête du classement mondial Meaningful Brands 2017 d'Havas Media Group et CSA, en raison « de cycles d'innovation très rapides qui créent une attente importante de la part des consommateurs sur l'innovation », l’enquête fait à nouveau la part belle en France aux enseignes d’« origine française » telles que Décathlon, Michelin, LU ou Danone. « Les marques les plus présentes dans la vie quotidienne des consommateurs » ne sont « pas seulement fonction de leur puissance média mais de ce qu'elles incarnent », remarque Yves Del Frate, CEO d'Havas Media France, selon trois critères que sont « les bénéfices fonctionnels (innovation, prix), personnels (sens pour le consommateur) et collectifs (engagement de la marque, transparence) ». Et de préciser : « 75% des Français considèrent que les marques devraient améliorer leur qualité de vie et leur bien-être, mais seulement 26% d’entre eux pensent qu’elles y contribuent effectivement. » Quelle est donc la recette de ces entreprises qui « comptent » alors que « 74% des marques (68% sur le territoire français) pourraient disparaître sans que personne ne s'en soucie » ? (1)
 
Les marques patrimoniales ont la cote  
 
Actionner les bons leviers de développement pour valoriser sa marque n’est pas chose aisée, face aux comportements volatils des consommateurs. Mais c’est pourtant bien le but recherché sachant, qu’aujourd’hui, les Français accordent davantage leur confiance aux marques patrimoniales. Ces enseignes ont su s’adapter et développer une véritable culture de marque auprès des consommateurs, en les intégrant au cœur même de leur écosystème. Plus qu’un simple slogan publicitaire, celles-ci ont acquis, au fil des ans, une légitimité auprès des consommateurs au point de devenir incontournables sur leur marché de référence. La success story du « petit Lu », le biscuit le plus célèbre de France en est une parfaite illustration. Son histoire commence il y a 170 ans, en 1846, à Nantes (Loire-Atlantique), lorsque Jean-Romain Lefèvre et son épouse Pauline-Isabelle Utile inventent le marketing de marque en rebaptisant « La fabrique de biscuits » en « Lu », les deux initiales de leur nom. Le succès ne se fait pas attendre. Même après son rachat en 1986 par le géant BSN-Gervais Danone, l'entreprise est restée fidèle à ses valeurs : « simplicité, plaisir, qualité ». En 2007, LU rejoint le groupe américain Kraft Foods, devenu Mondelez International. Depuis, il domine le marché mondial de la biscuiterie. « La marque est un objet complexe et diversifié. Des représentations très différentes lui sont associées et le consommateur prend de plus en plus en compte ses dimensions sociétales », souligne Laurent Habib, président fondateur de l’agence Babel. Comme le confirme la dernière étude du Crédoc sur les « Perspectives de la consommation 2017-2018 » en France : les Français sont « de plus en plus attachés à la qualité des produits ». Un aspect qu’ils jugent en fonction de différents critères, comme « la fabrication française et la renommée du service après-vente ». (2) (3) De manière générale, le consommateur attend de plus en plus des enseignes qu’elles sortent de leur strict champ de compétences économiques pour occuper le terrain de l’engagement sociétal.
 
Un engagement sociétal fort auprès du public
 
La RSE (responsabilité sociale des entreprises) est la traduction par les entreprises de cette préoccupation. Elle est devenue un actif stratégique, notamment du fait d’une attention accrue des consommateurs sur ces questions. Mettre « l’humain au cœur des actions du groupe » ! Dans ce domaine, la coopérative Optic 2000, créée en 1962 à Machecoul près de Nantes, s’est engagée de longue date dans la défense de la santé des consommateurs. Le Groupement d’Achats des Opticiens Lunetiers (GADOL), rebaptisé 7 ans plus tard sous la marque Optic 2000, s’est progressivement imposé comme une référence du paysage des opticiens en France. La coopérative fait un bond de notoriété en 2002, lorqu‘Optic 2000 fait appel au talent du chanteur Johnny Halliday. Mais en 2012, fort de son succès avec ses 1200 boutiques indépendantes, l’enseigne devenue entretemps première enseigne de distribution non alimentaire, n’hésite pas à revenir aux fondamentaux de la coopérative, axés sur « l’engagement et la solidarité ». Dans sa « nouvelle vision de la vie », son secrétaire général Yves Guénin met l’accent sur les six piliers de son approche RSE : « la citoyenneté, la solidarité, la mode, l’innovation, le professionnalisme et la proximité ». Une approche qu’il développe à travers des partenariats avec les complémentaires santé pour obtenir des prix négociés et son « engagement de service », certifié par l’AFNOR sous le label « Qualité en optique ». Cette reconnaissance d’un professionnalisme visant à offrir un accès aux soins visuels le plus large possible, a permis à la marque d’être élue « l’enseigne la plus connue auprès des Français », et « l‘enseigne d’optique préférée » des Français selon une étude menée par OC&C Strategy Consultants sur l’attractivité des enseignes en 2014. (4) (5) Optic 2000 l’a bien compris, la confiance est indissociable de la qualité aux yeux des consommateurs. D’autres marques ont fait le même constat.
 
Exporter une qualité française d’exception
 
« Le consommateur qui reprend le pouvoir vis-à-vis des marques est capable d’infléchir des stratégies d’entreprise », explique Nicolas Zunz, Publicis Communications France. Depuis sa création en 1742 à Paris, la célèbre enseigne des produits Maille, fournisseur des plus prestigieuses tables d’Europe au XVIIIème siècle, a dû réaliser sa mutation pour survivre à la consommation de masse. Bien que leader sur son marché de luxe, l’ancien vinaigrier des rois a fait son entrée en 1952 dans les grandes surfaces et a diversifié sa gamme de produits. Très convoitée pour son image haut de gamme qu’elle a su conservée, la marque Maille a fait l’objet de rachats successifs jusqu’à son entrée dans le groupe agroalimentaire Unilever, en 1999. La marque Maille continue de jouer la carte de l’épicerie fine. Depuis 2013, elle a une boutique à Londres dans le quartier du West End, célèbre pour ses boutiques de luxe. Une stratégie de marque payante à l’international puisqu’un pot de moutarde sur deux est vendu hors de France dans l’un des 85 pays où la marque est représentée. (6) « A l'étranger, nous vendons bien sûr la France. Mais nous adaptons notre message. Il faut comprendre les différentes façons de vivre et de s'inscrire dans le quotidien. La marque n'a pas la volonté d'imposer les usages français », remarque Sylvie David, directrice internationale de Maille. (7)
 
Créer des produits exclusifs pour mieux rebondir
 
La marque est, plus que jamais, perçue comme un « tout » par les consommateurs. Sa démarche de valorisation de ses produits passe désormais par le développement d’un langage universel propre à son univers de marque. Une conception ancienne si l’on se réfère à cet autre symbole des enseignes patrimoniales : Reppeto, produit 100% français qui a failli disparaître. Ce petit chausson de danse est né au 22 rue de la Paix en 1947 des mains expertes de Rose Repetto, mère du célèbre danseur et chorégraphe Roland Petit. Neuf ans plus tard, l’entreprise surfe sur le succès du film « Et Dieu créa la femme », de Roger Vadim dont l’actrice principale, Brigitte Bardot fait la promotion du célèbre modèle « Cendrillon ». Mais à la mort de sa fondatrice en 1984, la marque commence à décliner et se retrouve au bord de la faillite en 2002. Aux commandes de la société, Jean-Marc Gaucher, ancien PDG de Reebok France, fait alors le pari fou de repositionner la marque dans le luxe. La marque Repetto se positionne désormais comme une référence non seulement dans le monde de la danse mais également dans la confection. A l'heure des délocalisations, l'usine Repetto de Dordogne, qui emploie 130 salariés, continue de s'agrandir.
 
Pour Jean-Marc Gaucher, fabriquer les chaussures en France permet « la réactivité et donne la possibilité de faire ce qu'aucun sous-traitant ne pourrait nous fournir. Si le label "made in France" est bon pour l'image, C'est le travail de nos équipes qui fait que Repetto est aujourd'hui dans cette position ». (8)
 
Entre qualité, authenticité et histoire, les marques patrimoniales ont en commun une longévité dépassant le siècle pour certaines. Mais en dépit d’âges parfois canoniques, elles ont surtout su s’adapter à un environnement économique et à des consommateurs changeants, sans trahir ce qui faisait le cœur de leur identité, et la source de l’attachement. S’adapter dans la continuité, tel est peut-être le secret de ces enseignes, devenues « historiques » avec le temps.
 
 
(1)  http://www.e-marketing.fr/Thematique/general-1080/Breves/Etude-Meaningful-Brands-2017-314104.htm#5tzbkhuOFIXgCCc9.97
(2) https://m.lesechos.fr/0201102571008.htm
(3) http://www.credoc.fr/pdf/Sou/CdPCahiersConso2017-03-23.pdf
(4) http://www.rse-magazine.com/Le-management-de-la-qualite-nouvel-outil-de-la-RSE_a367.html#mfgZbBlmAg60VRSh.99)
(5) http://www.capital.fr/a-la-une/actualites/pourquoi-optic-2000-a-efface-la-gueule-de-johnny-hallyday-862699).
(6) http://www.francesoir.fr/lifestyle-gastronomie/maille-un-succes-de-268-ans).
(7) https://business.lesechos.fr/directions-marketing/marketing/positionnement/021496774955-les-recettes-de-maille-pour-s-exporter-205276.php
(8) http://www.lepoint.fr/fil-info-reuters/repetto-succes-francais-sur-la-pointe-des-pieds-17-03-2011-1307892_240.php


La Rédaction







Facebook
Twitter