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Au travail, l’intelligence artificielle accroît la productivité, pas le bien-être



Vendredi 12 Décembre 2025 - 16:13

Alors que l’intelligence artificielle transforme en profondeur les organisations, une nouvelle étude met en lumière un paradoxe frappant : si 28% des salariés se disent soulagés et gagnent jusqu’à vingt heures par semaine grâce à l’intelligence artificielle, un quart d’entre eux se déclare pourtant submergé par son usage. Ce contraste, inédit dans le monde du travail, révèle un basculement où les gains de productivité ne vont pas toujours de pair avec un mieux-être professionnel.


Intelligence artificielle au travail : des bénéfices tangibles mais inégalement répartis

Publié le 10 décembre 2025, ce rapport signé par l’AI Maturity Index et l’agence de conseil en communication Ballou dresse un panorama précis de la manière dont l’intelligence artificielle redessine les pratiques, les performances et les ressentis des salariés. Parce que l’intelligence artificielle s’installe désormais dans le cœur des métiers, cette analyse met en évidence une tension croissante entre les attentes, les bénéfices et les inquiétudes qu’elle suscite. L’étude, fondée sur plus de 3.000 auto-évaluations issues de 106 pays et 45 secteurs, offre un éclairage inédit sur la capacité des organisations à tirer parti de cette technologie, mais aussi sur les conditions nécessaires pour accompagner les salariés sans fragiliser leur équilibre psychologique.

Un soulagement pour certains salariés, une charge mentale pour d’autres

Selon cette étude, une partie des salariés tire un bénéfice clair de l’intelligence artificielle, puisque 28% des travailleurs déclarent ressentir un soulagement notable du stress, ce qui contribue directement à un équilibre renforcé entre vie professionnelle et vie personnelle. Toutefois, cet effet positif ne concerne pas la majorité : 72% des professionnels interrogés indiquent ne percevoir aucune baisse de leur niveau de stress, malgré une utilisation croissante des outils numériques. Cette absence d’impact souligne l’importance d’un accompagnement adapté, car 25% des salariés se disent dépassés par l’intelligence artificielle et 14% avouent éprouver de l’anxiété face aux compétences que cette technologie requiert. Bien que ces chiffres traduisent une adoption massive, ils révèlent surtout un besoin d’encadrement très marqué pour éviter que l’intelligence artificielle ne devienne un facteur de surcharge.

Des écarts persistants malgré une adoption européenne avancée

L’Europe apparaît comme le continent le plus avancé en matière de maturité liée à l’intelligence artificielle. Le rapport indique en effet qu’elle devance les États-Unis de 15%, un écart significatif qui s’explique notamment par un usage quotidien plus répandu : 65% des travailleurs européens déclarent utiliser l’intelligence artificielle chaque jour, contre 51% des salariés américains. Cet usage intensif se traduit aussi par un degré d’intégration plus élevé dans les workflows, avec un score de 73,96 dans les pays européens, contre 68,63 aux États-Unis. Cependant, malgré cette maturité apparente, des disparités sensibles persistent entre les pays européens, qu’il s’agisse du stress ressenti, du temps gagné ou de la surcharge psychologique, confirmant que l’adoption ne garantit pas une expérience homogène pour tous les salariés.

Productivité : des gains importants, mais qui vaient selon les types de tâches réalisées

L’un des enseignements majeurs du rapport porte sur le temps économisé grâce à l’intelligence artificielle. En moyenne, les professionnels déclarent gagner dix heures par semaine, et certains utilisateurs avancés atteignent même vingt heures hebdomadaires, selon les données du rapport AI Maturity Index. Ces gains ne sont pourtant pas uniformes, puisqu’ils reposent sur la nature des tâches confiées à l’intelligence artificielle. Les salariés qui l’utilisent principalement pour des tâches administratives — traitement des mails, rédaction de contenus simples, recherches basiques — bénéficient d’un gain de rapidité, mais pas nécessairement d’un apaisement mental. À l’inverse, ceux qui mobilisent l’intelligence artificielle pour des missions plus stratégiques enregistrent des économies considérables : l’étude mentionne vingt-trois heures économisées chaque semaine grâce à la planification de projets, vingt heures via le brainstorming et seize heures par la planification stratégique. Selon les analyses publiées dans le communiqué, ce contraste confirme que l’intelligence artificielle génère ses effets les plus puissants lorsqu’elle intervient sur des tâches exigeant recul, créativité et structuration, et non seulement automatisation.

Un facteur d’écart entre les genres et les générations

Les différences entre groupes sociaux apparaissent plus subtiles. L’étude montre que l’intelligence artificielle est un outil du quotidien pour 66% des hommes et 62% des femmes, un écart réduit qui témoigne d’une diffusion relativement uniforme. Toutefois, les ressentis divergent. Les femmes rapportent un impact légèrement plus positif sur le stress avec un taux de 15% contre 14% pour les hommes, et une amélioration plus forte de la confiance en soi, atteignant 19% contre 17%. En revanche, les hommes déclarent des gains de productivité plus importants, avec 24% d’augmentation perçue contre 18% pour les femmes. Les différences d’âge sont tout aussi notables : les salariés de plus de 55 ans sont ceux qui tirent le plus de bénéfices chronométrés, puisqu’ils économisent treize heures par semaine en moyenne, soit deux heures de plus que l’ensemble des travailleurs européens. Ces écarts témoignent d’une appropriation différenciée, non pas en fonction des compétences techniques, mais selon la manière dont chaque catégorie de salariés articule l’intelligence artificielle à son organisation du travail quotidienne.

Équipes marketing : une adoption record de l'IA et des performances supérieures

La fonction marketing se distingue nettement dans l’étude. Elle se révèle être la plus intensive en termes d’usage de l’intelligence artificielle en Europe. Les équipes marketing obtiennent en effet des scores supérieurs de 13,9% à la moyenne sur la productivité et de 24% sur l’innovation. Ces performances s’expliquent par une utilisation parfaitement alignée avec les capacités des outils, intégrant brainstorming, création de contenu, planification éditoriale et études de marché au quotidien. Cette combinaison permet aux équipes de concentrer leurs efforts sur la créativité, la stratégie et l’analyse plutôt que sur les tâches répétitives. Grâce à cette organisation, l’intelligence artificielle devient un véritable catalyseur d’efficacité et d’agilité opérationnelle.

Pourtant, cette position de leader comporte des effets inverses. Les spécialistes du marketing sont 74% plus susceptibles de se sentir débordés que le reste des salariés. Cette surcharge trouve son origine dans la pression d’adopter rapidement des outils nouveaux, mais également dans des cycles de production extrêmement resserrés. Comme l’explique Cédric Voigt, PDG de Ballou, « cette étude reflète exactement ce que nous observons chez les équipes marketing à travers l'Europe : elles sont les plus rapides à adopter l'IA et génèrent les gains les plus importants, mais elles sont aussi les plus exposées à la pression. Pour les entreprises technologiques, le défi n'est plus l'adoption, mais le soutien des équipes et la garantie que l'IA améliore leur travail, sans l'épuiser ». Cette tension souligne un enjeu central pour le management : intégrer l’outil ne suffit plus, il faut aussi instaurer un cadre protecteur permettant aux métiers les plus exposés de maintenir un niveau d’exigence soutenable.

​Vers une maturité fondée davantage sur les comportements que sur les outils

Au-delà des chiffres, l’étude met en évidence un facteur déterminant : l’efficacité de l’intelligence artificielle dépend moins des technologies utilisées que du comportement des salariés. « Les résultats de l’étude sont catégoriques : le succès de l’IA n’est pas une question d’outils ou de budgets, mais de comportement. Les travailleurs qui font confiance à l’IA affichent jusqu’à 153% de productivité en plus, et ceux qui l’expérimentent quotidiennement surpassent largement ce que peut apporter une formation formelle », fait remarquer Iwo Szapar, fondateur de l’AI Maturity Index. Cette déclaration rappelle que l’accompagnement, la pédagogie, l’expérimentation continue et la confiance envers l’outil jouent un rôle décisif dans la transformation des organisations. Dès lors, la maturité IA ne se limite pas à l’adoption technique, mais repose sur la capacité collective à l’utiliser pour anticiper, concevoir et structurer les activités d’avenir.


Anton Kunin







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