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Construction : comment le génie civil fait face à la complexité du management



Lundi 7 Février 2022 - 10:00

Les secteurs de la construction et du génie civil vivent actuellement une profonde mutation, sur fond de digitalisation et d’exigences réglementaires bas carbone. Dans ce contexte, les grandes entreprises du BTP ont adapté leur management à la complexité des situations. Explication.


Le chantier du pas de tir de la fusée Ariane VI, quand complexités technologique et managériale conjuguent leurs exigences
Le chantier du pas de tir de la fusée Ariane VI, quand complexités technologique et managériale conjuguent leurs exigences
Le pilotage des grands chantiers de construction ressemble de plus en plus au lancement d’une fusée de la NASA : il est complexe, il fait intervenir un grand nombre de compétences et demande une complémentarité de chacune d’elles, à la fois dans le temps et dans la précision de chaque action. À tous les niveaux, ces grands ensembles industriels sont donc devenus des mécaniques de précision. À l’heure actuelle, le meilleur exemple est sans conteste le chantier monumental dans le sous-sol de la région parisienne avec la construction de 200km de tunnels et de 68 nouvelles gares pour le futur réseau du Grand Paris Express (GPE).

 
Complémentarité et haute précision
 
La comparaison avec la NASA n’est pas qu’une figure de style. Les grands chantiers sont en effet à la croisée de nombreux métiers, où une multitude de compétences doivent s’agencer. L’écosystème des entreprises impliquées gravite autour des idées de complémentarité et de co-activités, comme l’analyse Dominique Genelot, vice-président du Réseau Intelligence de la Complexité et auteur de Manager dans (et avec) la complexité (éd. Eyrolles) : « Le “système entreprise” est défini par sa finalité et par l’ensemble des interactions complexes entre les multiples composantes qui concourent à son projet. L’enjeu d’un système est de construire de l’unité à partir de diversités. Edgar Morin a une expression bien connue à ce propos : “Le tout est à la fois plus et moins que la somme des parties”. “Penser système” consiste à favoriser l’émergence d’un tout où les parties peuvent exprimer leurs pleines potentialités au service du tout, mais en conservant leur individualité. » Si tous les secteurs industriels répondent plus ou moins à ce paradigme, le BTP est probablement celui où ce mode de fonctionnement est le plus visible.
 
Chaque chantier est unique et se gère en prenant en compte de nombreuses inconnues et de potentiels aléas. Prenons le cas de la construction du Grand Paris Express, le futur métro de la Grande couronne. Parmi les entreprises attributaires de plusieurs lots, le groupe Eiffage est présent en force, avec plusieurs de ses entités – Génie civil, Rail, Infrastructure, Systèmes… – afin de proposer des services clé en main et, en cas de problème, des solutions dans les plus brefs délais. « Nous structurons systématiquement les projets complexes en trois piliers, articulés en fonction de l’horizon temporel : pilotage, études, travaux, détaille Guillaume Sauvé, président d’Eiffage Génie Civil et d’Eiffage Métal. La logique commune qui garantit la cohérence de l’ensemble est la recherche d’efficacité, pour respecter les délais et les budgets. Sur des projets de plusieurs années (jusqu’à 15 ans pour le GPE), il est normal qu’il y ait des modifications. Le défi est de les intégrer au bon moment, pour que ce soit sans conséquence sur la réalisation des travaux. Quel que soit le sujet traité, notre priorité est la circulation de l’information, en interne comme chez nos partenaires, pour, précisément, fluidifier et accélérer la prise de décision. » L’intégration des métiers et la décentralisation des processus de décision – au plus près de la réalité du terrain – sont donc devenues des paramètres clé pour la bonne marche des chantiers.

 
Ressources humaines, les grands défis
 
Cette « bonne marche » dépend également d’une politique efficace en termes de ressources humaines. La spécificité des entreprises du BTP est de réunir de très nombreux savoir-faire, chacun répondant à des niveaux d’expertise très divers, de l’ouvrier à l’ingénieur, qu’il est essentiel de faire évoluer harmonieusement. « Nos entreprises sont attractives et il est indéniable qu’elles ont besoin de compétences dans de nombreux domaines, du CAP au niveau ingénieur, note Jean-Claude Fayat, président du Groupe Fayat et d’Evolis. Il est indispensable d’accueillir de nouvelles générations dans nos entreprises avec le développement des nouvelles technologies mais sans oublier nos fondamentaux, à savoir la mécanique ou l’hydraulique. Le développement de l’apprentissage est clé dans nos secteurs et nous le soulignons depuis de nombreuses années car les besoins de formation sont importants dans de nombreux domaines. […] L’industrie du BTP est dynamique, beaucoup de nos entreprises sont des leaders en France comme dans le monde, avec beaucoup d’ETI performantes et où l’innovation prime. »
 
Ouvriers et ingénieurs marchent donc main dans la main dans ces grands projets. La durée des travaux – comme dans le cas du GPE – permet souvent aux ouvriers de gravir les échelons et de finir directeurs des travaux. Du côté des ingénieurs, la progression est également de mise, avec un élargissement de leurs compétences. Selon Franck Becherel, directeur général en charge de la construction de Demathieu Bard, le management des entreprises de génie civil fait face à quatre défis  : « Le premier défi est de préparer et de former les managers d’aujourd’hui à leurs fonctions de demain. Le second est d’ouvrir le champ de leurs compétences au-delà de leur formation originelle. Le troisième est le développement de la transversalité et des synergies métier. Enfin, le quatrième défi serait l’appréhension de la culture financière au niveau bilantaire, et de manière générale les indicateurs de pilotage d’une entreprise. » À tous les échelons, les compétences requises sont donc de plus en plus exigeantes.

 
Digitalisation et stratégie bas carbone, passages obligés du BTP de demain
 
Les métiers de la construction sont en effet de plus en plus pointus, et pour accompagner ce phénomène, leur digitalisation est donc devenue impérative. « Depuis une dizaine d’années, nos clients sont confrontés à une montée en complexité des projets avec une multiplication du nombre d’intervenants, des enjeux de maîtrise des coûts et des délais plus prégnants, le tout dans des environnements contraints, avance Thierry Decarrière, directeur général de Planitec BTP, une filiale du groupe d'ingénierie civile Setec. […] Nous travaillons dans le cadre de notre projet OPC 2.0 à la montée en puissance des méthodes et outils digitaux dans nos métiers afin qu’à horizon 5 ans, 80% de nos activités intègrent ces outils. » Soit un vrai bond qualitatif.
 
Visible dans la plupart des entreprises de génie civil, cette digitalisation de tous les processus n’est qu’un aspect de la révolution que vit actuellement le secteur, sur fond de transition écologique. Car le cœur du réacteur reste évidemment le passage à des processus à faibles émissions de carbone. « Le virage majeur que nous prenons actuellement est celui du développement durable, qui se traduit non par des ruptures, mais par un continuum d’innovations, C’est particulièrement vrai dans le génie civil, parce que nous construisons des infrastructures faites pour résister à des foules de contraintes, et pour durer. Notre ingénierie de la construction, nos efforts d’innovation sont un des leviers essentiels pour réduire la “facture CO2” des autres secteurs. Ce sont les constructeurs de route qui œuvrent à la route “zéro carbone” de demain, ce sont les constructeurs urbains qui œuvrent aux écocités bas carbone de demain. » conclut Guillaume Sauvé chez Eiffage.
 
En France comme à l’étranger, les chefs d’orchestre des grandes entreprises du BTP gardent tous ces paramètres à l’esprit : co-activité, formation permanente des collaborateurs, digitalisation, réduction des émissions de gaz à effet de serre… Seul et unique moyen pour que le management de leurs chantiers – souvent pharaoniques – soit aussi irréprochable qu’un lancement sur le pas de tir de Cap Canaveral.
 


La Rédaction


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