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L’IA générative au travail : soulagement ou piège ?



Vendredi 20 Juin 2025 - 14:12

L’intelligence artificielle fait rêver, mais dans les couloirs des entreprises, les salariés balancent entre curiosité fébrile et scepticisme prudent. Derrière les promesses de productivité se cache une réalité bien plus ambiguë.


IA générative au travail : entre utopie productive et malaise diffus

À l’occasion de la Semaine pour la qualité de vie au travail, plusieurs enquêtes, dont celles menées par Ipsos-Greenworking et Mendo, viennent jeter un éclairage cru sur un phénomène encore largement brouillé : l’essor de l’IA générative dans le monde professionnel. Si l'IA générative au travail, est désormais omniprésente dans les discours des directions, son adoption réelle, elle, demeure marquée par des paradoxes aussi tenaces qu’inquiétants.

Le constat est limpide : l’IA générative au travail est déjà bien là… mais souvent par la porte de service. Selon l’étude Ipsos réalisée avec Greenworking du 5 au 16 mai 2025 auprès de 1.000 salariés, deux salariés sur trois utilisent l’IA générative, souvent hors du cadre officiel. Autrement dit, les outils comme ChatGPT ou Copilot s’invitent dans les tâches quotidiennes de manière « clandestine », ce qui expose les entreprises à des risques opérationnels, juridiques et éthiques.

Les directions, elles, semblent à la traîne : seules 36% des structures interrogées ont formellement déployé ces technologies. Mais les salariés, notamment les jeunes cadres masculins dans les grandes entreprises, n’attendent pas qu’on leur donne la permission. Ils expérimentent, traduisent, rédigent, optimisent – sans toujours comprendre les mécanismes à l’œuvre derrière les interfaces.

Et pourtant, cet appétit pour l’IA générative n’est pas sans revers. Comme le résume Thibaut Coiffier, associé chez Greenworking, cité dans l'enquête Ipsos pour Greenworking, « l'impact de l'IA générative sur les salariés », « ce ne sont pas les entreprises qui empileront les outils d’IA qui prendront l’avantage, mais celles qui réuniront les bonnes conditions d’appropriation. [...] L’IA ne s’impose pas, elle se construit dans l’usage, le discernement et la coopération ».

L’IA générative au travail : soulagement cognitif ou nouvelle pression ?

Du côté de Mendo, qui a interrogé un autre panel de 1.000 Français, le son de cloche est similaire. L’IA générative suscite autant de soulagement que de tension. 47% pensent qu’elle pourrait réduire la charge mentale, en facilitant la planification, le tri d’informations ou encore la gestion des emails. Chez les 18–34 ans, cette espérance grimpe à 67%.

Mais le soulagement cognitif s’accompagne d’une ombre portée : 28% des personnes interrogées y voient aussi une menace. Les termes reviennent : déshumanisation (51%), peur du remplacement (50%), injonction à la performance (45%). Les outils censés nous libérer deviennent parfois des tyrans silencieux. Et la fracture est nette entre ceux qui sont formés (38% chez les jeunes actifs) et ceux qui ne le sont pas (9% seulement chez les plus de 65 ans).

Quentin Amaudry, CEO de Mendo, avertit : « L’adoption de l’IA n’est pas naturelle, elle se construit. [...] Notre rôle est clair : rendre l’IA intelligible, utile et concrète pour tous les salariés dans leur quotidien, en partant de leurs besoins réels, pas de la technologie seule ».

IA générative au travail : vers une acculturation sélective ?

Derrière l'IA générative au travail se cache une cruelle inégalité d’accès. L’étude Ipsos révèle que seuls 32% des utilisateurs déclarent se servir exclusivement d’outils homologués par leur entreprise. Et quand ils utilisent ces outils, 55% préviennent leur hiérarchie, 43% leurs clients. Le reste ? Silence radio. Les formations, elles, restent l’apanage des structures les plus avancées. Et cela a un coût. Une étude de l’Apec parue le 3 juin 2025 indique que seuls 35% des cadres utilisent l’IA générative chaque semaine – 12% quotidiennement. Mais 72% d’entre eux réclament des sessions de formation.

L’expérience utilisateur est riche : rédaction, traduction, recherche, analyse de données. Pourtant, le vrai potentiel de transformation est encore loin : la majorité des usages se limite à des fonctions d’« assistant IA », peu d’intégrations métiers complètes, peu d’automatisations profondes. Et le plus ironique ? Plus un salarié utilise l’IA, plus il est inquiet pour son avenir professionnel. 73% des répondants d’Ipsos pensent qu’une partie de leur poste est automatisable. 38% craignent la suppression pure et simple de leur emploi.


Anton Kunin


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