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Travail et fortes chaleurs : un décret pour protéger les salariés



Mardi 3 Juin 2025 - 16:36

Un décret entrera en vigueur le 1er juillet 2025, obligeant toutes les entreprises françaises à adapter l’organisation du travail dès que des risques liés à la chaleur sont identifiés. Trois litres d’eau fraîche par salarié, horaires aménagés, tâches physiques suspendues, équipements obligatoires : ce ne sont plus des recommandations, mais des obligations légales. Managers de terrain et encadrants intermédiaires seront en première ligne pour appliquer – et faire respecter – cette nouvelle réglementation.


Un cadre légal clair : finies les décisions au cas par cas

Le décret n° 2025-482 du 27 mai 2025, signé par la ministre du Travail Catherine Vautrin et publié au Journal officiel, modifie en profondeur la gestion des risques professionnels face aux fortes chaleurs. Il impose à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, une série d’obligations concrètes et immédiates, applicables même sans alerte météo officielle. Dès cet été, les managers devront adapter en temps réel les horaires, la charge physique, les conditions matérielles de travail et l’organisation collective. Ce décret ne se contente pas de fixer un cadre légal : il transforme les pratiques managériales en y intégrant une logique de prévention climatique.

Jusqu’ici, la gestion de la chaleur en entreprise relevait du bon vouloir des encadrants. Le Code du travail obligeait certes à garantir la sécurité des salariés (article L.4121-1), mais aucune obligation spécifique ne visait la canicule. Résultat : des décisions hétérogènes, souvent improvisées selon les sensibilités locales.

Le décret du 27 mai 2025 crée un nouvel article L.4121-2-1. Il impose une évaluation systématique des risques liés à la chaleur, suivie de la mise en œuvre de mesures obligatoires dès lors qu’un danger est identifié – qu’il y ait alerte météo ou non. Ce nouveau cadre oblige les managers à ne plus attendre l’alerte rouge de Météo-France pour agir. Le seuil d’intervention devient organisationnel, non météorologique.

Canicule : ce que les managers doivent désormais faire concrètement

Dès qu’une situation de chaleur excessive est observée – sur un site extérieur, dans un atelier mal ventilé, ou même dans un bureau mal climatisé – les managers doivent activer une série de mesures obligatoires.

Voici ce que prévoit désormais la loi :

- Hydratation : garantir un minimum de trois litres d’eau potable fraîche par salarié et par jour. Cela suppose d’organiser des stocks, des livraisons supplémentaires, des fontaines, ou des glacières mobiles dans les secteurs isolés (BTP, voirie, agriculture).
- Aménagement des horaires : commencer les postes plus tôt, éviter les tranches horaires les plus chaudes (12h-16h), fractionner les journées. Ces ajustements doivent être anticipés et validés en lien avec les RH et la production.
- Organisation de pauses supplémentaires : à fréquence renforcée, dans des zones ombragées ou rafraîchies.
- Suspension temporaire de tâches physiques : manutention lourde, travaux en plein soleil, port de charge prolongé. Le manager doit savoir quand réaffecter les agents ou interrompre l’activité.
- Mise à disposition de matériel de protection : couvre-chefs, lunettes, vêtements respirants, brumisateurs, ventilateurs, stores mobiles ou abris de fortune.

Ces actions ne sont pas conditionnées à un accord de direction : elles s’imposent de plein droit dès qu’un danger est constaté, et doivent être traçables.

Managers de proximité : l’application dépendra de leur réactivité

Le texte légal ne précise pas de seuils de température fixes. Il place les managers dans une position de déclencheurs opérationnels, responsables de faire appliquer les mesures de prévention. En cas d’accident ou de contrôle, c’est leur réactivité et leur traçabilité qui seront examinées.

Selon le décret, l’inspection du travail pourra désormais émettre une injonction immédiate en cas de non-application des mesures, voire faire suspendre l’activité d’un site. Pour cela, les agents s’appuieront notamment sur le comportement des encadrants directs.

Exemple : un chef d’équipe qui ne fournit pas de couvre-chefs ou n’adapte pas les horaires en période de 36°C pourra être considéré en situation de manquement.



 

Intégration dans les outils de gestion : DUERP, protocoles internes, PCA

Le décret impose également que toutes ces mesures soient intégrées au DUERP (document unique d’évaluation des risques professionnels). Pour les managers, cela suppose de connaître le document, de savoir le mettre à jour en lien avec le référent QHSE ou la direction RH, et de documenter toutes les actions prises.

Au-delà, le décret pousse les entreprises à créer des protocoles chaleur activables rapidement :

- alerte interne déclenchée par le chef d’équipe à partir d’un seuil interne (ex. 32°C à l’ombre) ;
- message automatique aux salariés pour les informer des mesures ;
- coordination avec les RH pour les réaménagements de planning.

Les plans de continuité d’activité (PCA) doivent aussi désormais intégrer ce risque climatique.

L’impact managérial : culture, organisation et relations sociales

Ce décret, s’il semble technique, a des conséquences organisationnelles profondes :

- Il oblige à anticiper la chaleur comme un facteur d’organisation, au même titre que les pics d’activité ou les absences.
- Il redéfinit la notion de « bon encadrant » : celui qui sait adapter ses consignes à la température ambiante.
- Il impose un dialogue constant avec les représentants du personnel, notamment pour négocier les marges de flexibilité horaire.
- Il responsabilise le management intermédiaire, souvent exclu des décisions stratégiques, mais désormais en première ligne de l’exécution réglementaire.

En imposant des mesures concrètes et vérifiables face aux risques de chaleur, le décret du 27 mai 2025 transforme le rôle des managers. Ils ne sont plus de simples transmetteurs de consignes, mais des acteurs juridiques de la protection des salariés.

Adapter les horaires, repenser les missions, assurer l’hydratation : autant de tâches qui relèvent désormais d’une obligation réglementaire, et non d’une bonne pratique facultative. L’été 2025 testera la capacité des encadrants à conjuguer productivité et vigilance climatique.


Anton Kunin







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